I - Eléments du vocabulaire des inscriptions monétaires étudiées
II
– Déchiffrement et
traduction d’inscriptions monétaires ibériques
Inscription N°: 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 - 10 - 11 - 12 - 13 - 14
III
– Déchiffrement et traduction de deux inscriptions relevées sur des monnaies
d’Anatolie.
IV – L’idiome des inscriptions monétaires ibériques examinées.
I
- Eléments du vocabulaire des
inscriptions monétaires étudiées
Nous
avons rassemblé dans ce paragraphe les mots-clés du vocabulaire des
inscriptions étudiées. Pour chacun de ces mots, nous indiquons par une
initiale l’origine probable de la langue : (T), pour le turc ;
(P), pour le persan ; (A), pour l’arabe. Ces indications
visent à une première approche du problème des emprunts linguistiques de
l’idiome des monnaies ibériques que l’on étudie. Il y a eu, dans le passé,
des échanges entre le persan et l‘arabe qui ne rendent pas toujours claire
l’interprétation des transferts du point de vue chronologique.
“SİKKE” (P,A) |
Le
terme désigne la monnaie et la pièce de monnaie. En turc moderne,
« SİKKECİ » est le « monnayeur ».
On verra que l’on trouve dans les inscriptions plus souvent, « SİKKENCİ »,
quelquefois « SİKKEMCI », dans ce même sens. |
“İZİN” (A) |
« autorisation » |
“İNAKİ” (T) |
Mot
archaïque signifiant « digne de confiance ». |
“İŞ” (T) |
« travail »
et par extension « produit ». On aura des dérivés,
comme «İŞÇİ » ; « travailleur ». |
“CİL” (A) |
« tribu,
peuple, nation. » |
“ARACI” (T) |
ARA
signifie « entre » ; « ARACI »,
« intermédiaire » ; on a le mot dérivé
« ARACILIK » pour désigner « l’activité de l’intermédiaire,
la médiation ». |
|
Adjectif,
« excellent, magnifique » ; le terme est
aussi écrit : « ENİK ». |
“EZELİ” (A) |
Adjectif,
« éternel ». |
“AŞIK”(A) |
AŞK
veut dire « amour » ; “AŞIK” ,
« amoureux », en turc moderne, est employé dans le
sens du substantif « amour ». |
“İLAHİ” (A,P) |
Adjectif,
dérivé de « İLAH », qui signifie « divin ». |
“DAMGAN” (T) |
« DAMGA »
signifie “estampille, sceau, poinçon ». |
“RAHİM” (A) |
« compassion ,
miséricorde ». |
“TAM” (A) |
« complet,
exact ». |
“DEĞER” (T) |
« prix,
valeur ». |
“DAR” (A) |
« pays,
région ». |
“DİL” (T) |
« langage,
idiome ». |
II
– Déchiffrement et traduction
d’inscriptions monétaires ibériques
Les
inscriptions sont lues, comme dans nos communications précédentes, dans le
corpus M.L.H. de J. Untermann1. Ce fonds épigraphique nous a apporté
une aide précieuse pour la reconnaissance des signes dont sont composées les
inscriptions.
Pour
la traduction des termes déchiffrés, nous avons utilisé les ouvrages cités
sous les références 2, 3, 4, 5.
Les
inscriptions sont numérotées dans l’ordre de leur présentation. Nous lisons
d’abord les signes de l’inscription. La référence du N° de
l’inscription est indiquée par un chiffre placé à droite de celle-ci. Le déchiffrement
porte le N° de l’inscription suivi de la lettre « d ». La
traduction porte le N° de l’inscription suivi de la lettre « t ».
Nous
avons regroupé dans l’annexe I de cet exposé les inscriptions monétaires étudiées
et leur déchiffrement. La référence de chaque inscription dans le corpus
M.L.H. de J. Untermann est indiquée dans la dernière colonne, à droite, du
tableau.
La
première inscription que nous avons choisi d’examiner s’écrit :
(1)
Nous
déchiffrons :
SİKKENCİ İZİN
(1d)
Et
nous traduisons :
(cf.
paragraphe précédent pour la signification des termes déchiffrés)
monnayeur autorisé (1t)
Au
revers de la même monnaie ( réf. M.L.H.A.6. 1.1) et de la monnaie A.6. 1.2,
nous lisons :
(2)
Nous
déchiffrons, en lecture rétrograde, le mot archaïque turc :
İNAKİ (2d)
qui
signifie :
digne de confiance (2t)
Sur
cette monnaie, on trouve donc une légende qui n’a rien à voir, d’après
nous, avec une indication ethnique, comme on l’a proposé antérieurement à
cet exposé6, mais qui vise à rassurer le détenteur de la monnaie :
il a en main un produit digne de confiance fabriqué dans un atelier dûment
autorisé à pratiquer le monnayage.
L’inscription
N°3 s’inscrit dans la même démarche :
(3)
Nous
déchiffrons, en lecture rétrograde :
İZİN
İŞ (3d)
Ce
qui se traduit par :
produit autorisé, (ou si l’on préfère) monnaie
autorisée
(3t)
L’inscription
ne correspond pas à une identification d’atelier monétaire7 (« ARSE »),
comme on l’a suggéré avant la rédaction de cette communication, mais, une
nouvelle fois, à une indication à connotation rassurante.
Les
termes déchiffrés dans les inscriptions N°2 et 3 se trouvent regroupés dans
l’inscription N°4.
Nous
lisons en effet :
(4)
Ce
que nous déchiffrons, toujours en lecture rétrograde :
İNAKİ İZİN
İŞ
(4d)
ce
qui signifie :
produit (ou monnaie) autorisé(e) digne
de confiance.
(4t)
Les
monnaies « à la croix », produites notamment en Narbonnaise et en
Languedoc, portent, pour la référence M.L.H. A.4. 1.1, une inscription de sens
voisin.
Sur
ces monnaies où l’inscription est disposée circulairement, l’une des
difficultés que l’on rencontre consiste à déterminer le signe du début de
la légende.
Compte
tenu du déchiffrement de l’inscription N°1, examinée ci-dessus, on peut
envisager la lecture suivante :
(5)
Nous
déchiffrons :
SİKKENCİ CİL
(ou CİLİ) İŞ
(5d)
La
variante entre parenthèses met en commun la lettre « İ »
qui termine le deuxième mot et qui commence le troisième (le procédé est
souvent observé dans les inscriptions anciennes où il permet notamment un gain
de place, ce qui n’est pas à négliger sur des pièces de monnaie).
La
traduction est inchangée pour les deux variantes :
travail (ou produit) de monnayeur
du pays (ou de la nation)
(5t)
Venons-en
maintenant à un autre mot-clé qui figure sur un grand nombre de monnaies. Nous
lisons, par exemple, au revers de la monnaie dont la référence est M.L.H. A.6.
15.34 une inscription qui comporte deux lignes. La ligne supérieure a la même
graphie que l’inscription N°1 que nous avons examinée ci –dessus (SİKKENCİ
İZİN).
Sur
la ligne inférieure nous lisons :
(6)
Nous
déchiffrons :
ARACILI İŞLİ
İZİN
(6d)
Et
nous traduisons :
activité autorisée d’intermédiaire
(6t)
L’inscription
N°7 se trouve au revers des monnaies qui portent les références M.L.H. A11.
1.1 à 1.9.
Nous
lisons :
(7)
Nous
déchiffrons en remarquant que le signe Ψ signifiant
« CI » des inscriptions précédentes est maintenant remplacé par
le signe
:
ARACI İNİK (7d)
Ce
qui signifie :
excellent intermédiaire (7t)
Sur
les monnaies dont la référence dans le corpus M.L.H. va de A18. 6.9 à A18.
7.17, on lit, au revers, une inscription brève (il n’y a rien d‘écrit
au droit).
(8)
Nous
déchiffrons :
ARACILIK (8d)
Et
nous traduisons :
action (ou activité) d’intermédiaire
(8t)
Une
légende proche de l’inscription précédente se trouve sur l’inscription N°9.
Nous lisons en effet :
(9)
Ce
que l’on peut déchiffrer, en lecture rétrograde :
ARACIL(I) ou
encore : ARACI
CİL(İ)
(9d)
Ce
qui signifie :
intermédiaire national
(9t)
La
deuxième hypothèse est suggérée par l’inscription, en caractères latins,
au droit de la monnaie qui se lit :
CILI ou (GILI) (10)
Nous
déchiffrons :
CİLİ
(10d)
Et
nous traduisons :
national (10t)
Quittons
maintenant la filière des inscriptions à connotation rassurante pour les détenteurs
des monnaies. Les inscriptions N°11 et N°12 appartiennent au registre des idées
générales. Elles évoquent, pour l’une, la nation et, pour l’autre, le
sentiment religieux.
Elle
se lit :
(11)
Nous
déchiffrons :
EZELI CİLİ CİL(İ)
(11d)
Ce
qui signifie :
la nation est éternelle (11t)
Le
redoublement du terme CİL(İ) accentue la formulation (peut-être
faudrait-il traduire : « notre nation est une nation éternelle »).
L’inscription
N°12 se rapporte au sentiment religieux. Sur la monnaie qui porte la référence
M.L.H. A.6. 15.34 dont le revers à été examiné ci-dessus (inscription N°6),
nous lisons au droit :
(12)
Le
premier signe, à gauche, manque sur cette monnaie, mais il peut être lu sur la
monnaie dont la référence M.L.H. est A.33. 6.16 (les inscriptions sont
identiques).
Nous
déchiffrons :
AŞIK İLAHİ
RAHİM
(12d)
Ce
qui signifie :
l’amour divin (est) miséricordieux (12t)
L’inscription
N°13 que nous examinons maintenant relève encore de la filière des légendes
à connotation rassurante.
Nous
lisons :
(13)
Le
déchiffrement conduit à :
DAMGAN İŞ (13d)
Ce
qui se traduit par :
produit estampillé
(13t)
Nous
pouvons examiner maintenant le cas des initiales portées par une monnaie. Nous
ne nous dissimulons pas que l’exercice est périlleux et nous acceptons, par
avance, le risque d’erreur. Sur les monnaies qui correspondent à la référence
M.L.H. A51, nous relevons les initiales suivantes :
(14)
Nous
proposons le déchiffrement suivant :
TAM,
D(EĞER)
TA(M),
D(EĞER)
(14d)
TA(M)
Ce
qui peut se traduire par :
Exact(e), valeur
ou prix
Exact(e), valeur ou prix
Exact(e)
***
III
– Déchiffrement et traduction de deux inscriptions relevées sur des monnaies
d’Anatolie.
Nous
allons étudier le cas de deux inscriptions relevées sur des monnaies d ‘Anatolie (cf.
annexe II) ; l’une provient d’Aspendos, en Pamphylie, à l’est d’Antalya ;
l’autre de Phaselis, port de Lycie, à la limite occidentale de la Pamphylie,
à l’ouest d’Antalya. Les deux villes sont d’ailleurs proches puisque leur
distance, à vol d’oiseau, est d’environ 50 Km
Il
s’agit d’un statère d’argent où figurent, au droit, deux lutteurs nus se
tenant par les poignets et, au revers, un frondeur, ainsi qu’une inscription.
On trouve cette monnaie dans de nombreuses collections. Pour sa part, le musée
archéologique d’Antalya, qui a acquis en 1982 le trésor de Varsak-Düden, en
possède plus de deux cents exemplaires8.
L’inscription
n’a pas été déchiffré et traduite, jusqu’à présent, à notre
connaissance, (il a été suggéré qu’elle pourrait se trouver en rapport
avec un certain Asitawandas considéré comme le fondateur de Karatepe)9.
On estime que cette monnaie a été fabriquée pendant la période 380-325 avant
J.C.
On
lit :
(1A)
Cette
inscription nous paraît pouvoir être déchiffrée comme suit :
İŞAAT FIDDI I
US(A)
(1Ad)
Le
terme « İŞAAT », emprunté à l’arabe, signifie « dispersion,
émission » ; « FIDDI », terme également d’origine
arabe, signifie « en argent » (« FIDDA » voulant dire
« argent » ou « pièce d’argent »).
Il
nous semble que, pour ces deux termes, le sens est assuré. Nous pouvons donc
commencer à traduire l’inscription en écrivant :
émission (de monnaies) en argent….
(1At)
La
traduction du troisième terme est moins aisée. C’est
peut-être l’abréviation de « USALA », pluriel de « ASİL(A) »
qui signifie « officiel, noble, digne de confiance ».
Nous le laissons de côté.
Il
s’ensuit, à ce stade, qu’une monnaie produite en grande quantité à
Aspendos au IVe siècle avant J.C., pendant une période prolongée,
comportait une légende rédigée dans un vocabulaire emprunté à l’arabe.
Ceci implique, à notre avis, que la langue parlée à l’époque à Aspendos
par le peuple ou, au moins, par une fraction de celui-ci, empruntait également
une partie de son vocabulaire à l’arabe.
Nous
examinons maintenant une monnaie de Phaselis10, considérée comme
ancienne (IVe, Ve siècle avant J.C., en ordre de
grandeur). Les monnaies de la ville, à cette époque, illustraient son activité
maritime en portant sur les pièces une proue ou une poupe de navire. Tel est
bien le cas de la monnaie dont nous allons nous occuper.
Au
dessus d’une poupe de navire, on lit, sur deux lignes, l’inscription
suivante :
(2A) |
Nous
déchiffrons :
NAUS İNİK
PHASE (LİS)
(2Ad)
Ce
qui signifie :
excellent(s) navire(s)
phaselis
(2At)
Ce
qui nous paraît intéressant dans cette inscription, c’est que l’on y
trouve le terme « İNİK », d’origine arabe, que nous
avons déjà rencontré dans les légendes ibériques étudiées dans cette
communication (cf., inscription N°7). Nous sommes donc confortés dans
le raisonnement présenté au paragraphe précédent traitant d’une monnaie
d’Aspendos.
On
pourrait trouver sur d’autres monnaies de Phaselis une confirmation de ces
emprunts de vocabulaire. L’une d’elles, par exemple, porte une inscription
dont la partie droite est seule bien lisible sur le document que nous possédons.
On y trouve les mots : « FİR »(A) qui est
synonyme de « İŞ »(T) qui veut dire « travail,
produit » ; et « HOŞ »(P), qui
signifie « bon, agréable ».
Le
bref examen des monnaies de Pamphylie et de Lycie que nous venons d’effectuer
paraît donc révéler un plurilinguisme qui ressemble à celui que nous avons
observé sur les monnaies ibériques précédemment examinées.
IV
– L’idiome des inscriptions monétaires ibériques examinées.
En
traduisant une quinzaine d’inscriptions, relevées sur des monnaies ibériques,
nous avons utilisé un vocabulaire issu de trois langues : le turc, le
persan et l’arabe.
On
peut donc commencer par caractériser l’idiome concerné par ces monnaies en
indiquant qu’il s’agit d’une langue asiatique au vocabulaire trilingue.
A
défaut de le définir, nous-même, actuellement de façon plus précise, nous
pouvons verser au débat la légende suivante : sur la monnaie dont la référence
est M.L.H. 33. 6.16, on lit, au droit, dans la partie gauche :
(15)
Nous
déchiffrons :
DARA TATARA
DİL (15d)
« DARA »(A)
signifie « région » ; « TATARA
DİL » veut dire « langue tatare ».
Nous
pouvons donc traduire :
région de langue tatare (15t)
Cette
légende monétaire apporte peut-être l’une des clés du problème. Nous y
reviendrons dans une communication ultérieure.